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Ta vie pour un secret
Un secret
La nuit vient à peine de tomber. Ma dernière lampe date d'il y a une demi-heure à tout casser et j'ai pas encore déposé ma perche. En fait, je pense que je vais la garder avec moi cette nuit. C'est un peu encombrant, mais ça reste une barre de métal de plus d'1m50 et personnellement, j'appelle ça une arme quand les circonstances le demande. Y a des nuits où je me sens plus rassuré de l'avoir avec moi.
On a jamais eu super chaud dans cette caverne, mais ce soir on se les pèle un peu plus que d'habitude. Ma veste est trop grande, informe, mais sous cette capuche je garde un peu de chaleur alors je me prive pas de disparaître dessous. Ca me donne un petit côté intimidant sur lequel je crache pas non plus, parfois ça suffit à faire hésiter les emmerdeurs.
Je sais pas ce qui flotte dans l'air depuis que j'ai commencé ma tournée, mais ça me plaît pas. Ce soir, la Nuit me fait un peu plus peur que d'habitude et j'arrive pas à savoir si c'est juste dans ma tête, ou si quelque chose se trame vraiment. On pourrait dire que les incendies sont un danger de plus, mais je pense pas que ça soit ce qui me guette. J'espère que je suis parano pour rien.
Dans le doute, je rase les murs en faisant le moins de bruit possible, je prends les petites ruelles où personne ne passe et quand j'ai un raccourcis par les toits, je l'empreinte. Des gens me croisent sans me voir, se dépêchent de rentrer chez eux ou d'aller à je-sais-pas quel rendez-vous secret. La tension est montée depuis le dernier feu. Je capte plusieurs conversations étouffées, certains parlent des Bains, d'autres des disparitions, de ce qu'il manque au marché, de l'air humide qui fait mal aux articulations des vieux... Rien de nouveau sous le plafond des Profondeurs. Mes pas m'emmènent ailleurs, plus loin dans le noir.
De toit en passerelles branlantes, j'arrive à un cul-de-sac qui forme presque une petite place. Aucune lumière, à part celle qui filtre un peu à travers les rideaux ou les volets mal agencés des bicoques tout autour. C'est juste assez pour que je devine une silhouette en contre-bas de là où je me suis perché. Elle a pas l'air pressée de rentrer chez elle et quelque chose m'intrigue sans que j'arrive à mettre le doigt dessus.
J'ai trouvé ma première filature du soir.
Re: Ta vie pour un secret
Il fait sombre. C'est la nuit.
Tu ne devrais pas être là.
C'est la nuit. Tu n'es pas censé la connaître. Dans les ruelles de la Ville tu presses le pas. Elles sont étrangement vides.
Elles ne devraient pas l'être.
Tu te demandes si tu rêves.
Sans y penser, tu frottes tes mains sur tes vêtements – elles sont encore si fraîches. Une odeur de fumée, tapie dans tes cheveux. Tu grimaces pour toi, entre les ombres, sautant d'un pas leste au-dessus d'une flaque qui capture ton reflet le temps de cligner de l'œil.
Tout va pour le mieux.
Tout va pour le mieux et pourtant il y a ce goût amer dans ta bouche il y a cette sueur glacée dans ton dos il y a les nuits blanches il y a les mots d'Onix il y a le silence d'Eve il y a les rumeurs qu'on te chuchote entre deux danses il y a les sourires torves il y a les regards en coin il y a l'eau rouge des thermes et les corps pâles il y a
il y a que tout devrait aller bien,
et que tout ne va que pour le mieux.
Tout va pour le mieux.
Tout va pour le mieux.
Tout va pour le mieux dans le m̴e̸i̷l̵l̴e̶u̶r̵ ̵d̷e̶s̷ ̴m̷o̸n̶d̸e̵s̸.
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Re: Ta vie pour un secret
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Je bondis d'un recoin à un autre, m'accroche aux pierres, et ne perds jamais de vue la silhouette. Je veux savoir où elle se rend, à cette heure étrange pour une promenade, je veux savoir pourquoi elle n'est pas chez elle et pourquoi elle semble aussi inadaptée à cet endroit. Peut-être les fringues ? Ou sa coiffure ? Ou sa façon de se déplacer ? Ça me titille et je suis trop loin pour bien voir.
Le bruit de mon corps qui atterrit sur un toit en tôle fait se retourner la silhouette un instant, mais elle regarde dans la mauvaise direction. L'évidence me percute comme un coup de pied dans les couilles : c'est pas un habitant normal, c'est quelqu'un des Bains !
Ça y est, je suis saoulé.
Ils vivent bien confortablement là-haut, en sécurité et avec tout le luxe dont on peut rêver, mais c'est pas encore assez. Faut qu'ils viennent traîner ici. De nuit. Pour s'encanailler, j'imagine. Pour se donner un petit frisson avant de retourner bien en sécurité. Sauf que ce frisson, tout le monde à pas la chance de pouvoir le vivre comme un jeu.
Alors ça me saoule de voir que la nuit, ma nuit, est squattée par des gens qui se pensent sur un terrain de jeu. Des gens pas foutus de respecter l'Obscurité.
Ou le silence.
Tous les gens des Bains se ressemblent alors j'ai aucune idée de si c'est un mec ou une nana, mais ça va pas m'empêcher de lui coller la trouille. Ça veut flipper pour avoir des histoires à raconter à ses copains ? Eh ben on va donner à sa Majesté ce qu'elle demande.
Normalement, je fais pas d'entorses à mes règles. Elles me gardent en vie et c'est juste devenu une seconde nature quand la nuit tombe. Mais pour une fois, je vais faire exprès de faire un peu de bruit. D'être juste pas assez discret pour que Ça sache que quelque chose rôde dans les ombres. C'est facile, suffit de taper contre une pierre avant de disparaître derrière un pan de mur, de passer de l'autre côté de la rue et de griffer un mur du bout de la perche pour que Ça se retourne avec un sursaut.
Moi je veux que Ça se mette à courir en espérant me semer et je veux sentir mes muscles brûler à force de lui cavaler après.
Et peut-être que, grand prince que je suis, je finirai par lui barrer la route pour regarder sa tronche de plus près et rire un bon coup. On manque de sujets de marrade par ici. Ça m'irait bien d'oublier un moment que je flippe, d'être le prédateur, pour une fois. Même si c'est juste pour du beurre.
Re: Ta vie pour un secret
Inspiration. Expiration. Frustré, tu fronces les sourcils, serre les lèvres et reprends ton chemin. Tu sais qu'il ne peut rien t'arriver, malgré tout la nervosité grandit. Depuis trois ans que tu arpentes la Ville, tu peux te vanter de savoir t'y retrouver sans trop de soucis, même sans la lumière des réverbères. Sauras-tu semer ce qui te poursuit?
Tu tournes brusquement, t'enfonces dans une venelle si étroite qu'on ne peut l'emprunter que de profil, avant de te glisser derrière un muret et de sauter dans la rue en contrebas. Ce n'était peut-être pas la meilleure idée: tu ne te réceptionnes pas aussi gracieusement que tu l'aurais voulu et tu fais trop de bruit.
Une distraction. Une diversion. Ta main se glisse sous ton manteau, trouve la bourse en cuir où tu gardes la pyrite et le silex. C'est seulement là que tu réalises.
Tu tournes la tête. À une vingtaine de pas, ta gourde d'argent gît au sol; elle a dû se détacher de ta ceinture après ton saut (35). Oubliant toute prudence, tu te précipites pour la récupérer.
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Re: Ta vie pour un secret
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Il a de grandes jambes et il cavale vite. C'est tout un exercice de lui courir après, mais ça me motive encore plus !
Je saute une cheminée effondrée, me laisse tomber sur le toit suivant, roule jusqu'au bord et attend la sensation de vide. Je pourrais m'éclater au sol si je mettais pas les pieds en premier.
Ḯ̸̺̞͉̲̜̥̳̣̳͜l̴̰̳̥͔̓̆͆ ̴̥̜̹̼̩̝̪̑̑̽̽ͅf̵̻̰̮̗̳̽̊́̇̀̊̎̀̕͜͝ą̷̺͓̜̠̙̫̽͋͛̾̚͘͜͠ȗ̷̙̑d̵̟̺̰̗̾͌͗̐̏r̷͖͓͖̼̣͠a̶̭͋͆̕į̴̈t̸̡͖̙̬͇͔̝̚ ̶̛̖̫̠̞͒̈̈́͝ͅq̶̧̙̼̼͍̯͔̺̠̭̌͌u̵̾̏̑̀͒̊ͅe̵̬̘̳͑̌͒̆̓̉̆̓̓ ̵̨̙̣͍̯̤̎̓̿̈́̇̃̄̀̉j̷̯̈́͆̋́́̊̽͘͝'̴̬̰̞̒͌͊̄e̵̜̋͜͠s̷̛͇͛̍͗͆͑̌̚s̴̢͚̙̦̲͠a̸̢̢̮͉̹̘̱̐͒̋̆̂̽͘̕͝į̵̹̮̯̙̼̪͇͑̀̒̈́͐͑̓͝ẻ̷͓̇͒͛́̋͂̚. Pensée parasite.
La chute est rude, j'ai beau plier genoux et chevilles, ça me coupe un peu le souffle. J'aurais mieux fait de viser plus loin, je lui serais tombé sur le coin de la gueule et ça m'aurait fait moins mal.
À moi, pas à lui.
Oh tiens, ça brille !
Je ramasse sans même savoir ce que c'est (83), à l'instant même où je capte qu'il a fait demi-tour pour ce truc sur lequel j'ai failli marcher. D'un geste vif, d'un geste réflexe, je fais disparaitre la fiole entre mes doigts et me force à me lever en pointant ma perche vers lui, pour qu'il essaye pas de se jeter sur moi.
Je fais genre que tout va bien, que c'était calculé, que je maîtrise la situation.
Est-ce que c'est précieux ?
— À qui t'as bien pu voler cette petite chose, hm ?
La petite gourde tourne dans le creux de ma paume, je lui jette des regards tout en gardant un œil sur le drôle d'oiseau qui a failli m'échapper.
— Je crois que je vais la garder ~
Re: Ta vie pour un secret
Ta voix est calme, ton sourire affable, ton ton poli. Tu t'es arrêté juste à temps pour ne pas te retrouver empalé sur la perche qui traverse l'espace, comme un trait d'union entre toi et l'inconnu. Tu as affaire à un homme, un être humain: un de ces allumeurs de réverbères, maîtres du temps qui passe. Tu ne risques rien.
Rien ne peux t'atteindre, Sigismond.
La lumière est trop faible pour que tu puisses distinguer ses traits, mais elle joue sur ta gourde quand il la fait tourner dans sa main. Maintenant que l'écho de vos courses s'est tu, il ne règne qu'un silence épais habité par vos souffles rapides et vos battements de cœur. Immobiles, vous vous jaugez sans vous voir.
– Tu me la rends?
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Re: Ta vie pour un secret
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L'autre aussi, il avait souri comme ça.
Tout en politesse, en rondeur, en douceur. Même quand on se fait insulter ou qu'on se fait voler, on doit sourire. Quelle attitude merdique. Il pourrait au moins avoir l'air énervé.
Je le toise, de la tête aux pieds. Trop grand pour être discret. Il dépasse un peu trop pour sa propre sécurité. Pourquoi aucune nosférante ne l'a chopé au passage, c'est un mystère. Ou bien lui aussi, c'est un chanceux...
— Nan. Pas envie.
Pour la frime, je fais tourner ma perche sur elle-même avant de la ramener vers moi. Je me méfie des grandes asperges dans son genre quand elles ont poussé en Ville, mais celle-là ne me fait pas trop peur. Tant qu'elle n'avale pas la distance qui nous sépare.
Nouveau silence.
Je peux de nouveau entendre le grondement familier des Profondeurs qui bourdonne dans le moindre interstice. Ça me rassure, j'y superpose le sang qui me bat aux tempes, le rythme régulier et rapide de nos respirations qui cherchent à se reprendre. Presque en synchro.
— Je gagnerai plus à la revendre qu'à te la donner. Je suis sûr que tu t'en trouveras une autre encore plus brillante.
Et hop ! La gourde disparait dans mon dos pour rejoindre une petite besace solidement accrochée à ma ceinture. Est-ce que je vais vraiment la garder ? Mmh...
Ma tête penche légèrement d'un côté tandis que je l'observe à nouveau. Je vais dire quelque chose puis finalement, je ravale mes mots et lui fait un petit signe de la main.
— Ça a été un plaisir de te courir après. Bonne nuit !
Je fais mine de m'éloigner dans l'autre sens.
Re: Ta vie pour un secret
Un claquement de langue vient ponctuer ta phrase. Tu ne savais pas à quoi t'attendre mais te voilà tout de même… déçu? Ton poursuivant ne serait-il, au bout du compte, qu'un vulgaire voleur souhaitant détrousser un élevé égaré sur son territoire? Non. Non, ça ne colle pas.
– Je ne t'apprends pas qu'une jolie babiole comme celle-ci ne vaut rien dans la Ville. Et tu le dis toi-même, on en trouve de bien plus brillantes aux Bains. Mais c'est la mienne, et j'y suis attaché.
Un voleur t'aurait pris ta cape, ta pyrite, tes chaussures– des choses utiles à la survie. Pas cet objet d'apparat qui contient à peine deux gorgées. Ce que cet homme veut, c'est un trophée de chasse. Ce que cet homme veut…
– Pour la récupérer, je suis prêt à te donner tout ce que tu désires. De la nourriture, des vêtements solides; tu n'as qu'à demander. Mais ce n'est pas vraiment cela que tu recherches, n'est-ce pas?
Tu t'es rapproché doucement, de quelques pas, deux flammes violettes au fond de tes orbites. Sa dernière phrase résonne encore, un savoureux rappel en bouche.
– Une petite énigme pour toi. D'où viens-je et où vais-je?
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Re: Ta vie pour un secret
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Oho, ça c'est assez nouveau.
Je l'écoute d'une oreille, mi-surpris mi-amusé qu'il se lance dans un argumentaire destiné à m'expliquer pourquoi ça sert à rien de garder son objet perdu. Au début j'ai l'impression qu'il essaye juste de me convaincre de lui rendre bien sagement. Comme si c'était un scénario réaliste ! Il en arrive quand même bien vite à une proposition d'échange.
— "Tout ce que je désire"... Toi, tu sais pas où tu mets les pieds, je ricane.
Il est mignon avec ses promesses de nourriture et de vêtements, comme si j'étais pas capable de trouver ça par moi-même. Nan, tant qu'à avoir un Elevé sous la main, autant demander des trucs qu'on peut pas avoir autrement. Et puis j'aurais l'air de quoi avec des fringues à dentelle sur le dos ?
Je sais pas si ça se lit sur mon visage, mais il essaie même pas de continuer dans cette voie. C'est bien. On perd moins de temps.
Je le laisse approcher en serrant la prise sur ma perche, le regard par en-dessous. Merde, il est vraiment grand. Ca doit fait mal de tomber de si haut.
Faut reconnaître qu'il est pas tout à fait inintéressant et qu'il me laisse entrevoir une pente savonneuse comme je les aime. Un gars prudent tournerait les talons pour se tirer avec son butin. Un autre que moi, donc.
Il essaye de chatouiller ma curiosité.
— Je me fous un peu de savoir d'où tu viens. Mais j'imagine que ça pourrait être intéressant de savoir où ces grandes jambes allaient avant de se mettre à courir.
Mmh. Ca marche plutôt bien, sa technique.
A mon tour de m'approcher, de le dévisager un peu, de lui tourner autour, même. Je tire un peu sur un pan de vêtement, je soulève une natte, je regarde ses chaussures. Comme un chat de gouttière curieux et méfiant.
Où est-ce qu'il pourrait se rendre ? Aux paris, peut-être ? Nan. Un truc plus grave. Un truc qui le rendait assez nerveux. Je sais pas si ça me serait utile de savoir quel genre de sale petit secret il cache, mais par pure gourmandise, j'ai bien envie d'aller dans cette direction. Dans le fond, je pourrais juste reprendre ma filature et tout découvrir moi-même, mais...
— Aller, t'as l'air de vouloir jouer et moi j'ai toute la nuit pour m'amuser.
Je saute à pieds joints dans la flaque, sans en connaître la profondeur et pourtant on pourrait presque m'entendre ronronner de plaisir.
— Restes en un seul morceau jusqu'au lever du jour et peut-être que je te rendrais ton machin brillant. D'ici là, je te colle au cul autant que ça me chante, histoire de voir si tout ça valait la peine. Pas sûr que tu puisses me donner "tout ce que je désire", mais on va dire que tu peux toujours essayer.
Les lèvres ourlées d'un sourire équivoque, je mime une petite révérence à la con.
— Tu peux m'appeler Ré. Si ça te chante.
Re: Ta vie pour un secret
Il cesse son petit jeu et tu l'écoutes poliment faire le crâne. Ce «Ré» a le mérite d'être distrayant. Agaçant, aussi, bien sûr. Mais tu te sens bien plus calme depuis qu'il a surgi des ténèbres sur tes talons. Tu n'es pourtant pas dans la position la plus confortable, mais
(mais?)
c'est amusant de le voir penser qu'il a l'ascendant.
– Ré, Ré, Ré…
Un petit sourire désolé aux lèvres tu secoues gentiment la tête, les yeux comme du velours dans cette pénombre où vous vous distinguez à peine.
– Je vais aux Bains. C'est tout. Je rentre juste chez moi, après… Ah, mais, tu viens de me dire que cela ne t'intéressait pas. Dommage. Quant à ce qui est de jouer…
(96) Tu bondis. Ré est plus fort, plus agile, plus rapide que tu ne le seras jamais mais tu as l'avantage de la surprise. Surtout, ce soir, tu te sais pur – tu te sens invincible.
Vos deux corps heurtent le sol. Tes mains plongent, le trouvent sous toi, agrippent du tissu et de la chair à tâtons – tu ne vois plus, tu n'entends plus, c'est l'adrénaline qui te guide, c'est l'adrénaline qui arrache la sphère d'argent à sa poigne, c'est elle encore qui te jette en arrière.
Tu devrais te relever. Partir en courant. Tenter de le semer, trouver refuge dans les Bains, ton butin serré contre ton cœur. Tu ne fais rien de tout ça. Tes halètements emplissent l'espace entre vous.
– Allez. Viens la chercher, connard.
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Re: Ta vie pour un secret
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La récurrence de mon nom dans sa bouche sonne comme un rire ou de ronronnement un peu moqueur. Non pas que ça me dérange, j'aime bien mon nom et y a plus mal loti que moi. Comme BB. Et ça me ferait bien marrer qu'à force de le répéter, il se grave bien profond dans le crâne le nom d'un mec lambda croisé par hasard dans cette Ville infernale.
Bien évidement, il me prend un peu de haut parce que non seulement il a une taille putain de ridicule, mais en plus il vient des Bains. On va dire que c'est de bonne guerre.
Comment ça, il rentre chez lui ? Ah, la nuit ça doit pas trop être à son goût. Si c'est vrai, ce mensonge, je serais vraiment déçu parce que ça manque cruellement de fun et d'intérêt.
Et alors que je me dis ça, une armoire me tombe dessus.
Sans déconner, y a pas d'autres façon de décrire la masse qui m'arrive en pleine gueule sans que je puisse la retenir.
Cet empaffé se jette sur moi et je m'y attendais pas, alors je me retrouve à lécher le pavé avant d'avoir pu réagir. Mon premier réflexe, c'est d'essayer de bloquer les coups. Sauf qu'il a pas l'intention de me frapper et ça lui laisse tout le champs libre pour me choper à plein bras et fouiller sous moi. Ah l'enfoiré ! Je grogne, je jure, je me tortille en essayant de me dépêtrer, mais j'ai beau le pousser et le tirer, il arrive à récupérer la babiole brillante.
La seconde d'après, il me lâche et retombe sur le cul, le souffle court. J'ai perdu ma capuche, je sens un courant d'air froid sur ma nuque.
On se regarde un instant sans rien dire, on a l'air de pas trop comprendre comment on en est arrivé là. Je pourrais être saoulé d'avoir perdu mon trophée, mais je suis plus choqué qu'il ait osé, avec sa carrure de crevette anémique, me sauter dessus comme un sauvage.
– Allez. Viens la chercher, connard.
Un éclat de rire bref et sec, presque un jappement, et je suis sur mes pieds. J'attends pas qu'il essaye de fuir, c'est tout mon poids qui lui retombe dessus. Une main tendue vers la gourde, que je sais même pas pourquoi je me bats pour l'avoir, l'autre cherche sa gorge pour l'épingler au sol comme un joli papillon qu'aurait oublié d'aller se coucher. Je cherche pas à le frapper, ni même à l'étranger, juste à me dégager le passage jusqu'au trophée qu'il tient au loin.
Plus il gigote sous moi et plus je m'entends rire, parce qu'on a l'air vraiment très con à se rouler sur le sol. Jamais vécu une bagarre aussi inutile, jamais essayé de faire attention à pas faire de mal à l'autre, pas trop du moins. On devrait s'en sortir avec des écorchures et quelques bleus. J'en sais foutre rien de pourquoi je fais ça, mais j'ai oublié les mauvais pressentiments et je rigole comme un gamin, c'est tout ce qui compte.
Au prix de quelques efforts, je fini quand même par m'asseoir sur lui en lui coinçant un bras contre le corps, une main appuyée contre son épaule pour le maintenir, l'autre tendue vers mon trophée. Je l'écrase un peu. Il tient la gourde à bout de bras, loin, loin de ma portée, et il faudrait que je desserre l'étau de mes jambes autour de lui pour essayer d'aller la choper. Sauf qu'il pourrait en profiter pour me filer entre les doigts.
Faut croire qu'on est coincé.
J'arrête de tendre la main et je le regarde droit dans les yeux, un reste de rire aux lèvres. Je peux entendre mon sang qui bat dans mes oreilles et sentir son palpitant, affolé par autant d'exercice, qui fait vibrer tout son torse. On y a mit de l'énergie, c'est beau cet enthousiasme. Mes sourcils se haussent et j'ai un mouvement de la main.
— Donne.
Le regard que je me prends me faire marrer un peu plus franchement.
— Tu vas faire quoi, ducon ? J'ai gagné.
Je sautille un peu sur son ventre pour lui couper la respiration. Putain, je suis vraiment un môme.
Avec ma main libre, j'attrape une de ses tresses et je lui passe le bout sous le nez comme si c'était une plume, en ricanant. A ce stade, c'est juste de la provoc' de gamin.
— Tu m'as traité de connard tout à l'heure, pas vrai ? Fais gaffe, bientôt ta langue va dev'nir toute noire si tu continues à parler comme ça. Où es passée ta politesse, hein ? J'essaye de passer une mèche dans une de ses narines pour le faire éternuer. Me demandez pas pourquoi. Tss, ça sort des insultes et ça se roule dans la poussière avec de mauvaises fréquentations, en plus d'être mauvais perdant... Qu'est-ce qu'on va faire de toi, mon pauvre couette-couette ?
Parce que je suis très culturé, j'ai pas trouvé mieux comme nom. Mais j'ai bon espoir que ça soit suffisamment débile pour le faire chier et qu'il se remette à râler.
Re: Ta vie pour un secret
– Bouge-toi, tu grognes. Ou je pourrais bien finir par prendre goût à cette vue.
Tu tentes de le secouer mais c'est peine perdue, sa prise est parfaite et son étau d'acier. Ce n'est pas sa première échauffourée. Alors tu abandonnes vite, préférant concentrer tes efforts dans l'allongement de tes inspirations, vaine tentative de calmer les palpitations de ton cœur.
Ultime provocation, voilà qu'il s'empare d'une de tes tresses pour te chatouiller avec. Tu te sens te raidir et, lorsque sa main passe à portée de ta bouche, tu essayes de mordre, tes dents claquant à quelques millimètres de son poignet.
– Arrête ça.
Tu pourrais, sans doute aisément, lui porter un coup avec ta gourde d'argent, tenter de l'assommer ou au moins de le sonner. Oui, mais si il perd connaissance et s'effondre sur toi, tu n'es pas certain d'avoir assez de force pour te dégager de lui. Faute de mieux, le statu quo se maintient.
– Et ne m'appelle pas comme ça. C'est Sigismond.
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Re: Ta vie pour un secret
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— Hey ! Mais c'est qu'il mordrait !
Par réflexe, je retire ma main alors que je sais qu'il n'a pas un cou télescopique. J'ai pas envie de découvrir ce ça fait quand il décide de planter ses dents dans quelqu'un. Ou peut-être que si ? On verra à la prochaine tentative.
Il me balance enfin son nom. Et il est compliqué...
— Sigis.
On est sur une amélioration par rapport à "couette couette", même si c'était un nom qui avait beaucoup de sens étant donné sa coiffure. Je le tourne un peu dans ma tête et sur ma langue, en silence. Oui, je devrais pouvoir m'en souvenir sans problème.
Je pose sa natte et me penche un peu, juste à bonne distance pour pouvoir esquiver un coup de boule. Pas envie de me faire éclater le nez bêtement et il est plus sauvage qu'il en a l'air, l'animal.
— J'compte bien que tu prennes goût à la vue, parce que je vais pas bouger tant que j'aurais pas obtenu le prix que je viens de gagner. Et pour l'instant je parle de ce que tu tiens dans ta main, pas de ce que je tiens entre mes cuisses.
Ouais, je suis un poète, que voulez-vous ? Mais c'est pas ma faute, c'est lui qui a commencé.
Je profite qu'il soit absolument subjugué par mon charme - ou par l'étendue infinie de mon culot, allez savoir - pour lui prendre le bras fermement.
— Aller, faut pas être mauvais perdant comme ça. Et puis j'ai dit que je te la rendrai. Ma main glisse, du triceps au coude, lentement. Donne et je me lève.
J'ai presque atteint ma limite, mes doigts peuvent pas aller plus loin que de frôler la naissance de son poignet. Je peux sentir nettement qu'il y a plus d'os que de muscle sous le tissu de sa manche, je me console alors en me disant que s'il m'envoie une droite dans la mâchoire, j'aurais l'impression d'une caresse.
Je veux cette gourde débile. C'est ma victoire, mon petit trophée nul, ma babiole brillante, et je la veux. Pour mieux l'oublier quelque part, pour mieux la lui rendre, pour mieux l'échanger à la première occasion, peu importe.
En plus, j'ai rarement l'occasion d'avoir un siège aussi confortable que celui sur lequel je suis assis, alors rien ne presse. On peut continuer à papoter un peu, vu qu'il a pas l'air de vouloir céder.
Re: Ta vie pour un secret
La suite se fige dans ta gorge quand tu sens le poids de Ré se déplacer. Son corps glisse en avant, sa main parcourt toute la longueur de ton bras vers l'objet de sa convoitise, s'immobilise à quelques phalanges. Impossible d'aller plus loin. Vous êtes si proches que son torse te frôle à chaque inspiration.
– Et maintenant quoi? murmures-tu, un sourire mauvais aux lèvres.
Tu as rarement croisé parasite plus tenace. Il est évident que Ré ne te lâchera pas tant qu'il n'aura pas récupéré cette gourde. Ce n'est plus un objet, c'est un symbole… pour lui comme pour toi. Tu pourrais la lui donner pour repartir tranquillement, mais impossible de t'y résoudre. L'importance qu'elle revêt à tes yeux ne peut pas s'expliquer par les mots.
Alors quoi, Sigismond? Vous allez rester comme ça jusqu'au matin, jusqu'à ce qu'un nosférante vous attaque, jusqu'à ce que l'un de vous se lasse, jusqu'à ce que le plafond de la caverne s'effondre, jusqu'à ce que l'eau vous engloutisse?
Une,
deux,
trois secondes.
Soupir.
– Tu sais quoi? T'as gagné. J'en ai marre. Tu peux l'avoir, ta gourde. Comme ça vous ferez la paire.
À peine Ré relâche-t-il son emprise que ton bras décrit un arc de cercle en direction de sa tête. Erreur d'appréciation des distances causée par la fatigue ou l'obscurité? Tu le manques largement, ne fendant que l'air.
Puis, après quelques secondes, un bruit métallique retentit dans les ténèbres derrière vous.
– … Oups. Comme je suis maladroit.
Ta main est vide.
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Re: Ta vie pour un secret
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Avoir la gourde comme ça on fera la pai... Ah l'enfoiré !
J'allais lui balancer un truc bien sentit, mais c'est lui qui balance en premier et voilà qu'on se retrouve l'un et l'autre sans cette stupide babiole en argent.
— Bravo, connard, je maugrée.
Tout pour me faire chier jusqu'au bout. Mais ça m'étonne pas plus que ça, depuis qu'il a laissé tomber les politesses, on peut admirer sa personnalité de casse-couille arrogant sous tous les angles. On a les adversaires qu'on mérite, je suppose.
À mon tour de soupirer.
— Ça t'aurais fait un deuxième trou du cul de me laisser l'avoir sans histoire ? Sérieux, j'ai jamais vu une princesse aussi capricieuse. Et c'est dommage pour toi parce que j'avais dit que je lèverais seulement si tu me la donnait.
Un sourire d'enfoiré m'étire les lèvres quand je devine qu'il va me houspiller pour que je me lève. Rien que cette expression que je devine sur son visage est suffisante pour rattraper son petit coup de pute avec la gourde et je me ris sous cape. Ou pas, vu que j'ai même plus de capuche sur la tête.
Aller, ça suffit.
Je bouge vite, pour pas lui laisser le temps de comprendre : dans un même mouvement, je me penche en avant pour avoir de l'élan et me remettre sur pied d'un bond, je lui attrape la mâchoire d'une main, lui colle un bécot au coin de la joue et hop ! Avec un grognement d'effort, je me rejette en arrière et suis debout, un pied de chaque côté de l'animal ronchon.
— Reste pas trop longtemps par terre hein, on pourrait te prendre pour un tapis.
Je l'enjambe et vais récupérer ma perche - on a tous nos priorités - puis je me mets en quête de la gourde. Il faut bien que je remette la main dessus si je veux pouvoir apprécier le goût rond et sucré de cette victoire parfaitement honnête.
Re: Ta vie pour un secret
En revenant sur tes pas, tu réalises que Sigismond a disparu. Après un peu d'hésitation, tu renonces à le chercher: tu as l'intuition que vos chemins se recroiseront très bientôt.
Une fois revenu chez toi, tu prends le temps d'admirer ton trophée. De la taille d'une grosse pomme, la gourde d'argent est décorée de fines incisions qui tourbillonnent et s'entrecroisent.
À ton grand regret, elle ne contient rien d'autre que quelques gorgées d'eau.
(à ajouter à ton inventaire)
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