Tu bifurques dans ces ruelles que tu commences à connaître par cœur et qui te surprennent toujours, comme si leur trame se défaisait la nuit pour dessiner de nouveaux chemins de traverse. Est-ce que cette impasse existait, la semaine passée, ou une maison s'est-elle écroulée entretemps, bouchant le passage?
Sans cesser de murmurer pour toi-même, tu comptes. Septième rue. Troisième bâtiment. C'est là. Tu toques, on ouvre.
– Bonsoir, BB-4!
bb-4
16.10
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la ville
il n'y a personne qui attend BB-4, quand il rentre le soir. le regard de sa sœur est pourtant là, posé sur un des rares meubles, le fixe quand il ouvre la porte. il s'arrête un instant pour la regarder. est-ce qu'elle reviendra ? est-ce que quelqu'un l'empêche de revenir ? est-ce que... ? non. n'y pense pas maintenant.
les mains usées, à peine capable de serrer les poings, BB se jette immédiatement sur son lit. il se roule en boule sous sa couverture, il fait trop froid ici, il fait froid partout. partout sauf dans la chaufferie. il n'a pourtant pas envie de penser aux Bains. les Bains, ce sont les élevés. c'est ce type aux tresses. c'est ce monstre habillé en noir qui l'a suivi presque jusque chez lui. c'est ce vide dans l'appartement.
les pensées s'embrouillent, les yeux presque clos, tout se mélange, mais tout s'apprête à disparaître brusquement. (BB ne rêve pas) et puis, on toque à la porte.
encore enroulé dans sa couverture, les cheveux encore plus décoiffés qu'en journée si c'est possible, il s'apprête à chasser le voisin qui ose l'embêter ainsi. putain de me.. incompréhension. ah ? ce n'est pas un voisin, imbécile.
involontairement, il se redresse un peu, mais ne peut cacher la voix rauque de celui prêt à s'endormir. bonsoir... ... ... je ne connais pas votre nom.
– Je te dérange! Désolé, ce n'était pas mon intention. Je voulais te poser une devinette, mais je vais t'épargner ça.
De ta poche tu produis une poignée de nèfles.
– Je suis passé aux vergers aujourd'hui, pour soumettre ta requête à un ami. Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas pensé à lui plus tôt… Et bien, imagine ma surprise quand XI-0 m'a dit que tu étais déjà venu le voir! C'est grâce à Obsidienne, pas vrai? J'ai eu raison de te conseiller d'aller voir les explorateurs.
Tout en te jetant des fleurs, tu regardes par-dessus BB-4 – ce qui n'est vraiment pas un problème – pour tenter de distinguer l'intérieur de son logement.
– Tu me ferais voir le portrait de ta sœur? C'est que je suis curieux, maintenant! Et comme ça je pourrais te dire si je l'ai vue aux Bains…
bb-4
16.10
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BB-4 ne reçoit pas de nom, mais une simple poignée de petits fruits sur lesquels il ne crachera pas. encore un peu endormi, arraché trop tôt de son lit, il fronce les sourcils en entendant parler de devinette. la dernière fois qu'il l'a entendu, ça remonte peut être à des jeux avec sa sœur, quand ils étaient trop jeunes pour travailler, mais... ... il a quel âge, ce gars, en fait ?
au moins, on lui épargne la devinette, et on lui tend à manger, il n'est pas complètement perdant dans l'affaire. il s'empresse de les prendre, de peur que l'autre change d'avis. il mange à sa faim, mais quelque chose d'un peu sucré comme des nèfles légèrement flétries, ce n'est pas de refus. BB fait l'effort d'écouter la suite, même s'il est occupé à tâter pour trouver le fruit le plus blet du lot.
apaisé par l'offrande, il n'est même pas exaspéré par la façon qu'à l'élevé de se féliciter pour quelque chose qui ne le concerne pas, et se sent même d'assez bonne humeur pour le laisser rentrer. entrez. les mains pleines, il pousse la porte du pied, s'écarte pour laisser entrer son cher invité, et la referme d'un coup d'épaule.
oui, Obsidienne m'a emmené voir XI-0 aux Vergers, il finit par expliquer. il pose les fruits dans un récipient sur l'unique table de son appartement, et n'en garde que celui qui lui semble le plus convenable, qu'il enfourne directement dans sa bouche, jamais rassasié.
le lieu est petit est sombre, on en fait le tour en quelques coup d'œil à peine. autant dire qu'on remarque vite le portrait, posé sur une vieille commode, mais il le montre quand même du doigt. là, il peine à articuler en continuant de mâcher la chair sucrée et tendre. elle vous dit quelque chose ?
– Je ne la reconnais pas.
Tu… Hm.
Tu ressens une pointe de tristesse, Sigismond. Ce n'est pourtant pas la première personne à disparaître et ce ne sera pas la dernière. Mais tu as été touché par BB-4. Par ce frère déterminé à retrouver sa sœur, qui s'obstine à porter la flamme de l'espoir. Jamais ta famille ne fut ni ne sera capable d'une telle chose.
– Mais j'ouvrirai l'œil, maintenant que j'ai son visage en tête. Comment est-ce qu'elle s'appelle?
bb-4
16.10
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BB-4 y croit vraiment, un instant. il n'y a pas d'autre bruit que lui en train de mâcher la chair du fruit et de cracher les pépins, et il se demande si l'élevé ne reconnaîtrait pas sa sœur.
le soupir qui brise ce silence écrase ses maigres espérances.
ça l'énerve un peu. il s'est levé pour rien, au fond, rien que le goût presque amer de cette offrande ridicule et de cette visite, que l'autre doit sûrement voir comme un cadeau. un élevé ! dans sa minable demeure ! mais à quoi est-ce qu'il lui sert, là, à part retarder l'heure de son repos, et lui rappeler ce qu'il n'aura jamais ? BB s'apprête à le chasser, mais l'autre parle avant lui. il était persuadé qu'il allait simplement dire qu'il s'en va, mais non, il dit qu'il fera attention, il demande son nom.
est-ce que cet élevé est différent des autres ?
qu'est-ce que ça lui apporte, ce genre de promesses ?
pourtant, la dernière fois, il a promis. et il est revenu. merci, il maugrée, incapable d'être plus chaleureux pour l'instant. elle s'appelle MA-4.
il prend un autre fruit, mais ne l'avale pas tout de suite. il le fait glisser entre ses doigts, d'un main à l'autre... il n'est pas à l'aise, sa couverture toujours jetée sur ses épaules pour tenter de se réchauffer un peu. une question le démange pourtant. est-ce que vous avez des frères ou des sœurs ? ... ça expliquerait pourquoi l'autre a voulu l'aider, et le promet une seconde fois, non ?
Des images défilent à toute vitesse devant tes yeux, des images d'une vie là-haut dans les Bains, des images de visages semblables et différents, des images et des sons, des voix, des cris, des pleurs, la brûlure d'une gifle sur ta joue, le froissement de la brosse de ta mère dans tes cheveux, encore, et encore, et encore.
Est-ce que tu as des frères et des sœurs?
– Non.
Tu n'as pas l'impression de mentir.
Le bon sens voudrait que tu t'en ailles, pourtant tu restes là, les bras croisés, la tête penchée sur le côté, observant calmement ton hôte mal à l'aise. Tu avais déjà remarqué, lors de votre première rencontre, la suie qui lui faisait comme une seconde peau.
– Tu travailles à la chaufferie, n'est-ce pas? C'est grâce à toi que nous avons de l'eau chaude, aux Bains.
Tu te demandes à quoi ressemble cette fournaise dans laquelle BB-4 trime pour votre plaisir. Tu ne t'étais jamais vraiment posé la question, avant ce jour.
– Tu n'as jamais voulu voir le fruit de ton labeur?
bb-4
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les élevés sont vraiment étranges, mais chacun à leur manière, c'est ce que BB-4 finit par se dire face à celui qui trône dans son appartement.
il ne comprend pas pourquoi il est là, pourquoi il accepte de lui rendre service, mais il est là, et il l'a plus ou moins aidé, et promet de le refaire s'il le peut. mais le plus étonnant, c'est bien qu'il semble s'intéresser à lui. pas juste à sa sœur, mais à son travail, à ce qui constitue l'ensemble de sa misérable vie. oui, c'est grâce à a sueur et celle de ses collègues, que l'eau chaude coule en permanence aux Bains, au-dessus de leur tête, dans les thermes.
est-ce qu'il voudrait les voir ? la question le prend de court. je... je ne sais pas. sa place est en bas, dans la fournaise des poêles, dans la noirceur de la poussière de charbon, dans le vacarme des pelles et de la vapeur qui siffle furieusement. à quoi ça ressemble, le "fruit de son labeur" ? est-ce que c'est beau ?
– Très beau.
Le spectacle de l'eau, de la pierre; la vapeur entre les colonnes, les peaux nues et les mosaïques; le babil des sources, le grondement sourd des tuyauteries. Tu mordilles ta lèvre inférieure, deux dents pointures agaçant sa pulpe.
– Un soir, en sortant de la chaufferie, plutôt que de rentrer ici… viens aux thermes. Tu n'auras qu'à demander Sigismond. Fils.
Là-dessus, tu te diriges vers la porte pour regagner tes hauteurs.
bb-4
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les deux hommes font de leur mieux pour se parler, vraiment, mais BB-4 sent quelque chose dans leur nature qui les empêche de réellement se comprendre. pour lui, la communication est laborieuse et tendue. il s'attend à tout, surtout depuis qu'il a été témoin de ce que certains habitants des Bains sont capables...
il pense à cet homme blond, menaçant,
et cet homme brun, intimidant, mais pas dangereux.
(les élevés ne le sont-ils pas tous, pourtant ? n'ont-ils pas tous le pouvoir de te ruiner, de t'écraser ?)
l'invitation l'embarrasse, mais il n'ose pas refuser. avant, il ne pensait pas aux thermes, mais maintenant qu'on lui propose de s'y rendre, qu'on lui explique que c'est beau... il ne sait pas ce qu'il y a au-dessus de sa tête quand il travaille, et il ne voulait pas savoir, mais maintenant que des images commencent à se former dans sa tête, il voudrait savoir si c'est vraiment comme on le dit. est-ce que lui trouverait ça beau ? il hésite, mais finit par remercier son invité. merci, j'espère avoir le temps de venir un soir. est-ce qu'il osera ? il n'en sait rien.
c'est l'heure pour l'autre de partir, c'est l'heure pour lui de dormir.
mais quelque chose le démange, quelque chose qui lui fait faire un pas vers l'élevé. attendez ! il brise la frontière qu'il imagine entre eux, juste un instant, et parle vite pour ne pas se faire interrompre. est-ce que vous connaissez un élevé blond ? les cheveux lui arrivent en dessous des oreilles. fin, plus grand que moi d'une dizaine de pouces. les yeux verts, un visage... pas masculin. pas féminin. entre deux. ça vous dit quelque chose ?
– Combien de personnes différentes cherches-tu, au juste?
Ta main s'égare le long d'une de tes tresses.
– Blond, grand, androgyne… Tu es en train de me décrire la moitié de la population des Bains.
Tu gagnes du temps, tu nies en bloc. Un visage s'est imposé à toi pourtant, avant même que BB-4 ne termine sa description, mais tu renâcles. Fallait-il donc qu'il soit partout où tu passes? Mais non, il doit y avoir erreur sur la personne. Tu l'as dit toi-même, les Bains sont emplis de gens répondant à cette description.
– … Un arc?
bb-4
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les élevés sont compliqués. mais celui-là semble prêt à aider BB-4, au moins répondre à ses questions, alors oui, il en profite. il ne comprend pas leur monde, il ne comprend pas leur façon de parler ou de réfléchir. mais malheureusement, il est persuadé qu'ils sont la source de ses bonheurs et surtout ses malheurs. alors il veut savoir.
il pense d'abord que ça ne donnera rien, il s'apprête à chasser l'invité de chez lui, et puis.
un arc ? tout son corps se tend. il ne se sent plus du tout engourdi ou assoupi. il n'a pas parlé d'arc, lui. alors il n'y a qu'une possibilité.
oui. vous le connaissez. ce n'est pas une interrogation, cette fois. il sait. il sait qu'il sait. est-ce qu'il voudra lui dire son nom ? est-ce qu'il va tenter de le protéger et faire croire que ça court les rues, les élevés blonds pas très grands avec des arcs ?
– Je le connais.
Ta voix est douce et grave. Tu caresses, très lentement, le dos de ta main droite avec le revers de ton pouce gauche, comme un tanneur caresserait une peau à la recherche d'une imperfection.
– Quand tu le reverras, tu diras bonjour à Eve de ma part.
La Ville t'avale.
bb-4
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il le connait.
il le connait !
et il sait pour l'arc ? est-ce qu'il est au courant des activités... nocturnes de cet élevé détraqué ? lors de leur rencontre, BB-4 avait accepté le fait que c'était pour rendre justice, mais après des jours à retourner l'idée dans sa tête un peu obtuse, il n'en est plus aussi sûr.
il le connait, il sait... est-ce qu'il cautionne ? est-ce qu'il cautionne car c'est vraiment une simple vision personnelle de la justice, ou est-ce que tous les élevés se fichent du sort des habitants comme il se fiche des pépins de nèfles qu'il a jeté sans un regard ?
c'est trop compliqué, il ne sait plus quoi penser. il entend juste ce nom, Eve, qu'il grave dans sa mémoire, alors que son invité s'enfuit dans les ruelles. bonne nuit...
Eve.
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