– Obsidienne!
La rumeur qui t'accompagnait comme la traîne qui sied à ceux de ton rang enfle et ton sourire irradie d'autant.
– Je voulais vous remercier, pour l'autre jour. Je vous en dois une!
obsidienne
30.09
la ville
imprudence
Ta journée commence paisiblement. Nosférante n'a pas envoyé un gamin te chercher de bon matin, tu salues les deux idiots que tu héberges, leur conseille à nouveau de rentrer avant que les lumières s'éteignent - parce que toi, ça ne sera sûrement pas ton cas - et tu passes le pas de la porte.
Tu n'es pas de mauvaise humeur.
C'est rare.
Tu es appelé à droite, à gauche. Tu exécutes les tâches qu'on te donne, tu fais ce qu'on attend de toi. Tu aides, sans relâche. Tu te sens complet. Entier. Tu aides. T'aiment-ils autant que tu les aimes, Obsidienne ? Tu ne sais pas. Tu donnes sans rien attendre en retour.
Le train rapide et régulier de tes pensées et de tes besognes se stoppe net quand tu entends une voix familière.
C'est cet homme des Bains, dont tu as oublié le nom. Tu n'as pas oublié son nom. Tu sais qui il est.
Tu hésites, tu te demandes si tu ne ferais pas mieux de faire comme si tu n'avais rien entendu.
Mais plusieurs personnes vous dévisagent déjà, surprise des honorifiques qui n'ont strictement rien à faire là, et tu ressens un picotement d'embarras te pincer la colonne vertébrale. Tu soupires et te tournes vers lui, passant une main nerveuse dans la masse sombre de tes cheveux.
* ... Bonjour, tu marmonnes timidement. Vous allez mieux, depuis l'autre jour ?
Tu ne sais toujours pas ce qui lui a pris. Tu sais.
– Très bien, comme vous pouvez le constater. Et vous?
Est-ce de la pure politesse ou un intérêt sincère? Difficile à dire.
– Vous semblez être une célébrité locale, je n'ai eu aucun mal à vous retrouver. Ça vous arrive donc souvent, de protéger la veuve et l'orphelin…
Tu n'es pourtant – pour le moment – ni l'un ni l'autre.
obsidienne
30.09
la ville
imprudence
Tu l'observes, un œil noir inquisiteur. Si tu n'arrives pas à cerner les élevés, lui, c'est sûrement le pire. Quoiqu'il y en a d'autres que tu évites comme la peste... Tu soupires, croises les bras sur ton torse. Tu n'en peux déjà plus de cette conversation, et elle vient de commencer.
* Ca va mieux maintenant que je vous sais à l'intérieur de la Ville, tu réponds platement, peut-être sarcastique. Tu t'offres un instant de réflexion. Une célébrité locale, à ce point ? Tu.
Tu ne sais pas si cela est une bonne chose ou pas - tu apprécies grandement de pouvoir te déplacer discrètement d'un point A à un point B, sans quelques paires d'yeux posées sur toi. Mais en même temps, effectivement, beaucoup sont à connaître ton nom. Tu trouves du travail facilement, tu peux nourrir les deux bouches supplémentaires sans mal.
C'est un mal pour un bien.
* On pourrait presque dire que c'est mon travail, tiens, tu rétorques. Il faut bien gagner son pain.
– Si vous le dites! Et à ce propos…
Tu amorces un geste qui reste en suspend, te ravises, ton sourire teinté d'une couleur plus froide. Il ne faudrait pas attirer des ennuis à ce cher Obsidienne, n'est-ce pas? Tu sais très bien comment l'envie et la convoitise peuvent provoquer des ravages et tu ne souhaites rien de tel à ton preux chevalier du jour. Un mouvement de la tête alors que tu te mets en marche, pour qu'il t'emboîte le pas: ce n'est pas une invitation, c'est un ordre.
– Trouvez-moi un coin tranquille.
L'honorifique persiste et signe mais le ton de la phrase est celui de quelqu'un qui a l'habitude de commander. L'intimité est une notion bien abstraite dans les profondeurs et bannie de la Ville, tu le sais, mais Obsidienne doit bien connaître un ou deux recoins de ce dédale où l'on peut discuter en paix, même toute relative. Rien ne saurait être pire que cette ruelle encombrée où l'on se marche sur les pieds.
obsidienne
30.09
la ville
imprudence
Tu as bien du mal à trouver ce gamin intimidant, comme tu as du mal à avoir peur de lui. Il pourrait difficilement te faire du mal, ou te causer du tort.
Tu obéis à sa requête sereinement et tu l'emmènes dans un coin plus reculé, comme promis. A l'arrière d'un bar où personne ne se rend à cette heure, dans une ruelle étroite où seules quelques vermines peuvent constater leur échange. Tu baisses le regard sur un rat qui se faufile entre deux murs, méfiant. Tu te méfies de tout. On t'a appris à le faire. Tu ne tomberas pas dans le panneau.
Tu relèves les yeux vers Sigismond, curieux de voir ce qu'il va te demander. Ca vous convient ? Tu lui demandes.
– Hm? Oui, ça ira.
Le sac de toile grossière que tu portais sur ton épaule atterrit entre vous deux avec un bruit sourd.
– Quatre livres de farine de seigle. Garantie sans charançons.
obsidienne
30.09
la ville
imprudence
Une imprudence. Tu t'en doutais, mais cela t'étonne tout de même. Un marché, ici ? Maintenant ? Qu'est-ce que cet homme a en tête ? Du... vent ? Ou de la poussière ? De l'eau, peut-être, qui se secoue d'un coin à l'autre de sa caboche, à peine tiède ?
Tu le regardes sans trahir la moindre émotion. Tu ne lui feras pas le plaisir d'être surpris, même si tu ne t'y attendais qu'à moitié.
Et donc ? En échange de ? Tu tentes, tu observes le sac.
– Et bien, de ma vie!
C'est ce qu'on fait, non? Remercier quelqu'un d'un geste qu'il a eu pour vous? Les mœurs de la Ville sont si… Enfin. Tu hausses les épaules, rayonnant comme ce soleil que tu n'as jamais vu.
– Je ne pense pas qu'elle vale beaucoup plus. Après tout, je ne suis même pas capable de produire cette farine moi-même…
C'est une pique qui répond à sa dernière remarque, adressée autant à toi qu'à lui. Tu la lances en plissant – Ô, si imperceptiblement! – les yeux.
Ta vie est inestimable, Sigismond.
– Sur ce…
Tu n'as plus d'intérêt à rester. Tu fais volte-face, l'esprit déjà ailleurs, lointain, occupé à des choses bien plus importantes que cet homme.
obsidienne
30.09
la ville
imprudence
Tu observes le sac. Quelques secondes, tout au plus. Rien de plus qu'un sac rempli de farine; et puis tu comprends, accompagné gentiment par les explications amusées, peut-être moqueuses de Sigismond.
Mais c'est bien sûr.
Tu n'es pas habitué à ce qu'on te remercie autrement que par des mots, n'est-ce pas, Obsidienne ? Tu es presque embarrassé.
* Excusez-moi, tu bafouilles, je croyais... enfin, peu importe.
Oui, peu importe. Autant oublier très rapidement ce petit moment embarrassant de ta lente vie. Tu salues Sigismond d'un hochement de tête maladroit.
* Rentrez bien, tu souffles, alors qu'il tourne d'ores et déjà les talons.
Tu n'auras pas eu le temps de lui dire.
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