02.10.2022 | allée mercantile.
Manger pour vivre, et non vivre pour manger. C'est un truc que tu as entendu, il y a bien longtemps, tu ne te souviens même plus de la voix qui l'a prononcée, cette phrase, encore moins de son visage mais ces mots sont restés ancrés en toi parce qu'ils ont tendance à te faire ricaner. Vivre pour manger, c'est trop loin de ta réalité pour que tu songes à prendre un truc pareil au sérieux, c'est bon pour ceux qui vivent là-haut, bien trop haut pour que tu ne sois en capacité de les voir, ou de les atteindre. Ceux que ton imbécile de frère a toujours voulu rejoindre, ceux qu'il a peut-être réussi à atteindre oubliant de ce fait jusqu'à ton existence misérable.
Quoi qu'il en soit, il faut manger pour vivre, c'est aussi important que le sommeil qui te fait défaut depuis quelques jours, et dans cette vie parfois bien trop barbante à ton goût, il en faut bien un qui se dévoue pour aller récupérer de quoi manger, parfois. Depuis que vous vivez dans les parages, toi et Canine, vous avez vos adresses, quand c'est la galère, vous savez vers qui vous tourner pour récupérer un petit panier de truc à se mettre sous la dent et c'est ce que tu es allée faire, gratter, glaner, mendier.
Ton barda habituel sur le dos, un panier sous le bras, un sac jeté sur l'épaule, t'es pas bien grande mais tu courbes le dos en pestant, en braillant, et maudissant tout, et tout le monde …
Mais la cerise sur le gâteau ? Bien que tu n'aies jamais vu ni de cerises, ni de gâteau ? Une ombre rapide vient ramasser une pomme blette que tu as quémandée aux vergers et chipe par la même occasion le sac le plus rempli, celui que tu avais jeté sur ton épaule avant de te mettre en route. Tu viens de te faire voler la moitié de ce que tu comptais rapporter à Canine, et ce en un clin d'œil.
Le coupable est un jeune homme à l'âge incertain, d'une maigreur alarmante et une peau si pâle que tu te demandes un instant s'il ne ferait pas partie des malades, entassés aux limites de la Ville. Ses yeux, deux billes noires à la pupille laiteuse, t'observent moqueurs, alors qu'il se faufile entre deux rues. Tu observes sa silhouette entreprendre d'escalader une habitation pour fuir par les toits, et tu vois rouge.
Tu vas le buter.
...
T'es en galère. Y'a pas d'autres mots, et tu maudis à peu près tout ce qui t'entoure parce que de la force, t'en as, c'est certain, mais pas assez pour porter autant sur la distance. Tu es encore parvenue à obtenir pas mal de choses, t'en es fière parce que ça vous fera une bonne réserve pour quelques jours au moins, jusqu'à devoir y retourner et la prochaine fois, ce sera probablement Canine qui s'y collera.
Alors que tu marques une petite pause, le temps de te redresser un peu pour soulager ton dos, faire craquer tes vertèbres, on te bouscule. C'est bref, mais assez violent pour que le panier tombe et que tu laisses échapper le sac sous l'effet de la surprise.
Ni une, ni deux, tu ramasses ce qui traîne au sol rapidement, lances le tout dans un coin avant de te mettre à courir à toutes jambes pour te lancer à la poursuite du voleur. T'as envie de hurler, de l'insulter, de sortir tous les mots les plus laids de ton vocabulaire et on sait qu'il y en a beaucoup, mais tu gardes ton souffle pour la course poursuite. Si tu le vois grimper le long d'un mur de pierre, tu en fais de même parce que … tu le lâcheras pas avant d'avoir récupéré ce qui t'appartient !
Tu l'observes un instant, peut-être pour vérifier s'il t'est familier, si tu l'as déjà vu quelque part, mais non (16), rien ne te vient. Tu le rejoins rapidement et il ne prend même pas la peine de fuir, il tourne simplement la tête vers toi.
☽ Bah alors ? Il te nargue. T'es en colère ? T'vas faire quoi ? Sa voix est désagréable à entendre, tu te fais la réflexion qu'il est définitivement malade, si son sourire ne te l'indiquait pas déjà: ses dents sont maculées de sang sombre.
...
Y'a quelques trucs comme ça, avec lesquels t'as jamais été du genre à déconner, et clairement, la bouffe, elle arrive en tête de liste. C'est vital, la bouffe. Sans ça, tu crèves Corail alors forcément, hors de question de passer ton chemin quand un putain de voleur se permet de venir te piquer ce que t'as eu un mal de chien à glaner à droite à gauche. La pomme aurait pu passer, t'es pas du genre radine, même si le vol passe mal, tu peux comprendre le besoin de manger, la faim, tu connais ma grande, tu vis dans la misère depuis toujours, t'es livrée à toi-même depuis que t'as douze ans. Mais le sac … c'est plusieurs jours de nourriture, et tu ne peux pas le laisser à d'autres.
Quand tu le rattrapes, pourtant, le mec est plutôt décontracté. Posé sur sa cheminée, en train de manger la pomme volée, les mains qui fouillent dans ton précieux sac de toile, il est là, face à toi, à se payer ta tête en plus du reste.
☽ C'Corail, ton nom, c'est ça ? Tu ferais mieux de retourner bouffer je sais pas quel monstre dehors, il ricane, comme ça personne te volera ta pitance, t'en fais pas pour ça.
Non mais c'était la meilleure. Non seulement le type te volait, mais en plus il avait l'audace de se moquer de toi.
...
Tsé, Corail, t'as pas eu d'éducation. C'est comme ça, t'as grandi avec Canine qui en a pas plus que toi, qui en a même carrément moins que toi, alors forcément, faut pas attendre de toi que tu saches discuter, négocier, argumenter, nan. T'as pas le temps pour ça, tu vois, parce qu'ici bas y'a pas de temps à perdre, se laisser aller c'est crever, encore une fois. Pourtant, tu fais un effort là. La pomme, tu t'en fou, peut-être que tu pourrais même lui offrir un truc de plus, pourquoi pas. Par pitié. Mais face à ce genre de réponse, de comportement, t'es juste pas capable de rester calme, c'est pas toi.
Tu entends ton prénom, et tu ne prends même pas la peine de te demander comment il sait comme tu t'appelles, parce que toi, tu l'as jamais vu. Probablement que tu t'en souviendrais, si c'était le cas. En tout cas, ta patience déjà sacrément limitée est complètement épuisée, tu te baisses rapidement pour attraper le couteau à ta cheville et d'un pas assuré, tu t'avances dans sa direction, les doigts de ta main libre viennent attraper le tissu de son vêtement au niveau du col et tu approches la lame abîmée et crasseuse, t'es clairement en train de le menacer.
C'est... c'est dommage.
Il ne te regarde toujours pas, malgré le couteau sous sa gorge, malgré ton poing serré dans le tissu de son vêtement, malgré ton visage radicalement plus proche du sien. Il a vraiment l'air plus intéressé par la nourriture que par toi, ce que tu comprends, mais qui t'agace.
☽ Ouais, ouais, il réagit finalement. Son avant-bras vient se poser contre ta gorge et il te repousse mollement; tu fais quand même deux trois pas en arrière, malgré tout. Pousse-toi, tu me gênes. Va voir ailleurs si j'y suis, je suis déjà bien gentil de t'avoir laissé le reste. Enfin, j'en sais rien, t'as tout laissé là-bas...
...
T'es assez dissuasive, normalement. Pour survivre, il faut se battre. La meilleure défense, parfois, c'est l'attaque. C'est dans ce genre de trucs, de dictons qui viennent d'on ne sait trop où que t'as grandi, et c'est ta réalité, ta vie, ton quotidien. S'il y a de la douceur en toi, elle passe après la violence, parfois, c'est tuer ou être tuée, alors ceux qui te connaissent savent que tu es prête à tuer, que tu en es capable. Cependant, tu sais aussi qu'une vie est précieuse, elles le sont toutes, même celle d'un voleur aussi agaçant et provocateur que celui-ci. Tu te demandes d'où il sort, pour rester si calme face à une lame à quelques centimètres seulement de sa gorge, il suffirait d'un mouvement, pourtant …
Mais s'il paraît maigre, s'il paraît malade et faible, lorsque sa main empoigne ta gorge et qu'il te repousse, tu sens bien que tu ne dois pas te fier aux apparences. Il est peut-être dangereux. Il est menaçant, en tout cas, il se moque de toi, comme s'il ne te pensais pas capable de te battre pour récupérer ce qui est à toi, il agit comme si tu allais lâcher, abandonner. C'est mal te connaître.
Tu remarques la lame qui est apparue dans sa main intacte, semblable à la tienne. Tu baisses les yeux et constates ta main vide. Il vient de te chourrer ta lame, et là, il s'est simplement levé (29), peut-être prêt à fuir. Tu as une chance de le retenir.
...
Il recule immédiatement. Surpris par ton geste, par la douleur aussi peut-être étant donné le bruit qu'il émet lorsque tu le blesses. Tu le fixes, maintenant, le regard toujours aussi déterminé … jusqu'à voir ce couteau, dans sa main, tu te demandes depuis quand il est armé, et puis tu te rends compte que toi, tu ne l'es plus. Comment as-tu pu ne pas te rendre compte qu'il te volais ton arme ? Ca te déstabilise, un instant, mais lorsque tu reposes les yeux sur lui, dans son ensemble tu te dis que maintenant il pourrait bien s'enfuir.
Dans ton dos, il reste ton arc, tes flèches, mais tu n'y touches pas. En réalité, tu te contentes de te positionner devant lui, sans arme, les mains vides.
☽ Ben voyons, il crache. Tu crois qu'ça m'fait peur ?
...
Tu le fixes. Ton regard ne se détourne plus de cette silhouette squelletique, de ce type à l'air littéralement cadavérique. Tu te demandes si tu ne pourrais pas en venir à bout, à mains nues, à le regarder, c'est comme s'il menaçait de s'écrouler de lui-même à chaque instant, peut-être que si tu lui donnais un petit coup de main pour ça, tu pourrais récupérer tes affaires facilement. Mais tu ne bouges pas, comme quoi Corail, il t'arrive tout de même de réfléchir un peu avant de foncer tête baissée. Brièvement, tu te demandes si Obsidienne ne serait pas un peu fier de toi …
Finalement, il fait un mouvement - pendant un instant tu penses qu'il va te poignarder, parce qu'il balance son bras dans ta direction, mais tu réalises que ce n'est qu'une feinte alors qu'il tourne rapidement les talons pour sauter du toit où vous êtes perchés. Tu l'entends atterrir sur de la tôle en contrebas.
C'est l'heure du palier. (18)
- Le poursuivre.
- Ne pas le poursuivre.
Visiblement, vous êtes tous les deux aussi têtu l'un que l'autre. Tu ne veux pas le laisser embarquer ton sac, il ne veut pas te le rendre. Il persiste, toi aussi. Tu ne bougeras pas, c'est comme ça, avec toi, les choses ne peuvent tout simplement pas se passer autrement. C'est con, hein, parce que ça aurait pu se passer autrement, tu es loin d'être une mauvaise personne et si tu n'as pas grand-chose, tu n'es jamais contre l'idée de partager. Après tout, tu ne serais plus en vie si certaines personnes, ici, dans cette ville, n'avaient pas été généreuses avec toi, avec Canine.
Mais face à ce type dont tu ignores tout, c'est le chemin de la violence qui a été emprunté. C'est dangereux, Corail, de rester là où tu es alors qu'il est parvenu à te prendre jusqu'à ton arme, mais, tu n'arrives même pas à t'imaginer te décaler pour tout lui laisser. C'est impensable, oui, absolument.
Tu es surprise par son geste, l'espace d'un instant, tu te retrouves à bouger pour éviter ce que tu penses être un coup de couteau … tu te rends compte, un peu trop tard que ce n'était qu'une manœuvre pour lui permettre de fuir et il a déjà sauté du toit lorsque tu réagis. Tu as dit que tu ne lâcherais rien, alors, tu ne lâches rien et une nouvelle fois te voilà à te lancer à sa poursuite en sautant du toit à ton tour.
Choix : Le poursuivre.
Personne, en fait. La scène te sidère, la ruelle en contrebas est totalement vide, il n'y a rien ni personne. En fait, tu réalises, il y a seulement ton pauvre sac, vide de tout ce qu'il y avait à l'intérieur. Ton couteau ? Envolé. La nourriture ? Pareil. Le voleur ? Va savoir, tu ne le vois nulle part.
Alors que tu viens ramasser le sac de toile, tu as l'impression que tu t'es fais un ennemi.
Terminé pour moi.
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