la sueur aveugle BB-4. il grogne, dans l'effort, et tente en vain d'essuyer les gouttes qui tombent dans ses yeux. c'est dur, aujourd'hui. aussi dur que n'importe quelle autre journée, mais il commence à peine à comprendre que plus personne ne l'attend à la maison, et qu'il rentrera dans un logement vide tous les jours (pour toujours ?).

il n'y pense pas. il ne veut pas y penser.
alors il redouble d'effort, rouspète un peu plus fort contre la chaleur démente de la chaufferie, et essaye de ne penser à rien en travaillant.

ils sont peu nombreux à travailler aujourd'hui, une grande réception, ou une fête, ou n'importe quel évènement sensationnel pour les Bains et insignifiant pour la Ville attire les foules dans une des salles de réception, et l'on réclame moins d'eau chaude que d'habitude. les flammes ne brûlent pas moins fort, et la vapeur siffle autant. la faim gronde encore plus, en pensant aux banquets terribles qu'ils doivent organiser juste au-dessus d'eux, sans même savoir que les employés existent. comment leur en vouloir ? s'il avait une table qui croûle sous le poids des assiettes remplies devant lui, BB se jetterait dessus, et ne penserait pas à ses voisins de table, encore moins aux rongeurs qui ramassent les miettes en dessous.

un éclair roux brise la routine du travail, un éclat familier qui vient briller sous les yeux des employés couverts de poussière de charbon.

oh, salut ! BB abandonne tout de suite sa pelle sur place, et s'approche de la nouvelle venue en trottinant presque. dis, ça fait un moment !

toute distraction est bonne à prendre. ici, il fait si chaud et c'est si sale qu'aucun élevé n'ose descendre, alors on est un peu plus libres que ceux qui doivent s'affairer dans les étages supérieurs. c'est un sale boulot, mais il offre l'avantage de pouvoir s'arrêter pour discuter, un instant.

c'est presque étonnant pour BB-4 de voir AE-1 s'arrêter un peu, rien qu'un peu, pour lui parler. en général, elle semble trop pressée pour avoir même le temps de s'interrompre un instant. BB est un peu étonné, mais satisfait, et un léger sourire apparait alors qu'il essaye une nouvelle fois d'essuyer la sueur qui plaque ses cheveux.

il est parfois un peu gêné à l'idée qu'elle ne le vois qu'ainsi, sale, transpirant, épuisé. mais il ne sera jamais gêné de travailler dur, non, c'est même plutôt une fierté pour lui. oh, c'est plutôt tranquille, aujourd'hui ! et ce n'est même pas de la frime, cette fois, c'est vraiment un peu plus simple.

AE-1, c'est une pause.
c'est un éclair qui passe, et distrait un instant.
BB-4 est toujours content de la voir, à vrai dire, et encore plus de pouvoir lui parler.

et toi ? toujours aussi surmenée, j'ai l'impression... elle n'a pas le luxe de travailler loin des regards mauvais de ses employeurs. il se demande comment c'est, de travailler plus haut. AE-1 lui pose plus de questions qu'elle ne répond aux siennes, en général, et les échanges se terminent vite car il faut retourner travailler.

les Bains ne dorment jamais.
et toi, AE-1 ? quand est-ce que tu te reposes ?

AE-1 a toujours l'air occupée et débordée.
BB-4 n'y pensera que plus tard, mais il se sent presque un peu honoré, qu'elle ait accepté de s'arrêter pour discuter avec lui, même si elle dit elle-même que "ça doit aller".

oh, heu... il baisse d'un ton, sans y penser. est-il déçu ? ... est-ce qu'il s'attendait vraiment à quelque chose ? il ne le sait pas lui-même. il a l'air un peu abattu, mais c'est peut-être juste la fatigue des heures de travail accumulées. il trouve tout de même la force pour sourire, tant pis s'il ne sait pas, tant pis s'il est fatigué. merci quand même d'avoir cherché, c'est pas grave ! ça l'est, mais il préfère se dire que non.

il ne comprend pas.
elle était là, à l'attendre tous les soirs, et puis un jour elle n'était plus là. il a commencé de demander aux Premiers Pas, mais personne ne l'a remarquée, trop occupés à implorer du regard les quelques élevés qui sont descendus en Ville.

mais AE-1 n'y peut rien, et il est déjà très reconnaissant qu'elle ait essayé de se renseigner.

peut-être qu'elle reviendra comme si de rien n'était dans quelques jours, il finit par dire en haussant les épaules. cette fois, il n'arrive pas à sourire, il ne croit pas à ses propres mensonges stupides.

comme une étincelle qui s'échappe des braises, AE-1 tournoie un instant au milieu du charbon, puis elle repart aussi vite et s'envole en un éclair. c'est comme ça.

bon courage ! BB-4 a le temps de lui crier avant qu'elle ne soit trop loin.

fin de la pause.
il reprend sa pelle abandonnée à son poste, grogne quelque chose à son collègue, et reprend le travail.